SOLIDAIRES
Union syndicale
le 03 octobre 2013
Monsieur le Député
Alain Bocquet
Monsieur
Vous allez examiner à partir du 7 octobre le projet de loi sur les retraites. La question des retraites n’est ni une question comptable, ni une question financière ou démographique. C’est avant tout un choix de société, donc un débat politique et citoyen, qui aurait mérité autre chose qu’un calendrier aussi restreint dans le temps : le projet de loi n’a été dévoilé par le Premier ministre qu’à la fin du mois d’août et présenté au Conseil des Ministres le 18 septembre pour un débat parlementaire que le gouvernement entend conclure d’ici la mi-novembre…
Pour l’Union syndicale Solidaires, ce projet de loi s’inscrit dans la continuité des contre-réformes mises en place depuis 1993 et qui toutes ont contribué à allonger le nombre d’annuités et à dégrader le niveau des pensions des retraité-es et futurs retraité-es. Il vise à allonger encore une fois le nombre d’annuités et à faire reposer les mesures de financement sur les seuls salarié-es et retraité-es : la seule mesure concernant l’augmentation des cotisations patronales est d’ores et déjà neutralisée par l’annonce faite par le gouvernement d’une compensation intégrale, sans doute au détriment du financement de la branche famille.
Ce nouvel allongement de la durée de cotisation va particulièrement pénaliser les jeunes et les femmes. Rappelons que la durée moyenne validée est aujourd’hui de 37,75 ans (chiffres 2012), soit près de 4 années de différence avec la durée requise et que, pour les femmes, cette durée est de 36,25 annuités… Tout nouvel allongement va accroître les inégalités de pension alors que la pension des femmes est déjà inférieure à plus de 40% de celle des hommes: et ce ne sont pas les quelques pistes annoncées (concernant les avantages familiaux) pour après 2020 qui compenseront ce manque à gagner.
Lors des précédentes réformes, de nombreux parlementaires, aujourd’hui dans la majorité, avaient soutenu les mobilisations sociales contre ces reculs sociaux… Il serait étrange que les mêmes apportent, aujourd’hui, leur soutien et leur vote à un texte qui s’inscrit dans cette lignée de régression sociale.
Le débat sur l’avenir des retraites mériterait un réel débat sur le partage du travail : le partage actuel est fait de chômage et de précarité alors qu’il faudrait travailler toutes et tous, réduire le temps passé au travail (que ce soit sous forme de réduction du temps de travail ou de l’âge légal de départ en retraite). Il serait aussi urgent d’ouvrir un véritable débat sur le partage de plus en inégal des richesses avec des profits et des dividendes qui continuent de progresser quoique en dise le patronat !
Dans ces conditions, vous comprendrez que nous vous demandons de ne pas voter ce projet et d’œuvrer pour qu’enfin, un véritable débat citoyen s’ouvre sur la question des retraites et au-delà de la protection sociale afin d’inscrire toute future réforme dans un sens de progrès social et non pas de régression comme c’est le cas avec le texte qui vous est soumis actuellement.
Nous serons très attentifs à la position que vous prendrez dans ce débat.
Nous vous prions de croire, Monsieur, nos meilleures salutations.
Pour Solidaires
M. Willy Dans secrétaire de l’U.I.L Solidaires du Valenciennois
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Argumentaire contre le projet de loi et propositions de l’Union syndicale Solidaires :
L’Union syndicale Solidaires considère que le projet de loi sur les retraites prolonge et aggrave la politique Fillon et Sarkozy et par un nouvel allongement de la durée de cotisation pour obtenir le taux plein et éviter la décote (43 ans en 2035), et une hausse des cotisations sociales salariales. Le gouvernement prétend avoir joué la carte de la « concertation » pour faire une « réforme difficile mais juste », démarche qu’il appuie par quelques mesures concernant la pénibilité, la meilleure prise en compte des années d’apprentissage, d’études et de chômage indemnisé, la promesse d’améliorer les droits familiaux pour les femmes. Mais ces mesures ne compenseront en rien les méfaits des contre-réformes précédentes et les conséquences de la nouvelle augmentation du nombre d’annuités décidée par le gouvernement dans la continuité des mesures prises en 2003, 2007 et 2010.
Le gouvernement ne touche pas à l’âge légal de départ à la retraite : 62 ans, comme si c’était une grande avancée sociale ! Rappelons que la retraite à 60 ans a été instaurée en 1981 et qu’effectivement à l’époque, c’était un progrès social important, dans une période où l’espérance de vie augmentait. Les bornes d’âge ont été repoussées de 2 ans par Nicolas Sarkozy en 2010. A l’époque, le Parti socialiste combattait cette contre-réforme. Aujourd’hui, le même parti étant au gouvernement, il faudrait considérer que la mesure prise par Sarkozy en 2010 était une bonne chose ?
Durée de cotisation : une hypocrisie totale !
Le gouvernement poursuit au-delà de 2020 ce qui a été mis en place par la loi de 2003 (loi Fillon) : l’augmentation continue du nombre d’annuités nécessaires. Nous en sommes à 41,5 annuités (et en 2020, à 41,75 annuités pour la génération née en 1960) pour une retraite à taux plein. Le gouvernement poursuit les contre-réformes de ses prédécesseurs, il augmente le nombre d’annuités à 42 en 2023 et 43 en 2035, à raison d’un trimestre tous les trois ans.
Hypocrisie, car cotiser pendant 43 ans sera impossible pour beaucoup, la durée moyenne validée aujourd’hui étant inférieure à 38 annuités. En réalité, cela conduira à baisser à nouveau le niveau des retraites, en y ajoutant la double peine de la décote (5% par annuité manquante, 25 % maximum), pour celles et ceux qui ne pourront pas atteindre l’âge de 67 ans ! Bien évidemment, ce seront les salarié-es les moins bien payés et ceux qui ont des carrières incomplètes (les femmes notamment) qui subiront le plus cette nouvelle attaque. Cette baisse viendra en plus de celle rappelée dans le rapport Moreau qui cite le COR : à l’horizon 2060, la baisse des pensions relativement aux salaires serait de 15 à 25 % en fonction des scénarios économiques.
Dans une situation où il y a près de 5 millions de chômeurs et chômeuses (et un taux de chômage des jeunes de 25 %), où la moitié des salarié-es ne sont plus dans l’emploi au moment de faire valoir leur droit à la retraite, où l’espérance de vie en bonne santé stagne, voire commence à régresser, les projets du gouvernement sont inacceptables.
Solidaires ne peut accepter en 2013 ce que nous avons refusé en 2010 !
Salarié-es et retraité-es mis à contribution
Le gouvernement Sarkozy a repoussé la revalorisation de la pension de 3 mois, en la passant du 1er janvier au 1er avril. Le gouvernement Hollande-Ayrault la repousse de 6 mois, au 1er octobre ! Cette mesure coûtera 600 millions d’euros aux retraité-es dès 2014 et deux milliards dès 2040. Certains retraité-es paieront plus d’impôt sur le revenu : la bonification de 10% pour les parents de 3 enfants sera imposable dès l’année prochaine. Cette mesure aura des conséquences pour les retraité-es surtout pour ceux arrivant juste à la limite permettant de ne pas payer d’impôts,cela peut déclencher le paiement de la CSG. Elle augmente le revenu fiscal de référence ce qui peut mettre fin à l’exonération de la taxe d’habitation.
A ces mesures, s’ajoute une hausse des cotisations sociales, de 0,15 point pour les salarié-es et les entreprises en 2014, puis des augmentations chaque année pour atteindre 0,30 % en 2017. Mais le gouvernement a déjà annoncé que les cotisations patronales seront compensées par des baisses sur d’autres cotisations sociales (la branche famille). Les efforts ne seront pas partagés puisque les entreprises en seront exonérées, et qui va payer ce nouveau cadeau au patronat ? Le risque est bien que cela soit reporté sur les ménages par une augmentation de la CSG, ou une TVA « sociale » qui ne dirait pas son nom. Cela viendra s’ajouter pour les salarié-es à la hausse de cotisation sociale retraites. C’est ce que le gouvernement appelle les efforts « partagés ».
Inégalités entre les femmes et les hommes : on est loin du compte !
Les inégalités femmes/hommes se traduisent aujourd’hui en matière de retraite par une pension des femmes inférieure à plus de 40% de celle des hommes. La mesure principale étudiée par le gouvernement était de remplacer les 10% de majoration de pension pour les parents de 3 enfants par une somme forfaitaire, attribuée en priorité aux mères. Cette mesure allait dans le bon sens ; aujourd’hui le fait que cette majoration soit en pourcentage favorise les hauts salaires et davantage les pères que les mères : 70 % du montant global affecté à la majoration de 10 % est attribué aux pères et seulement 30 % aux mères alors que ce sont elles qui supportent encore l’essentiel des tâches liées aux enfants. Le gouvernement en a retenu l’idée, mais repousse à 2020 et de façon progressive son éventuelle application.
Les autres mesures sont un trimestre cotisé pour chaque période de 90 jours de congé maternité, l’acquisition d’un trimestre avec 150 heures cotisées au SMIC (au lieu de 200), ce qui prend en compte davantage de temps partiels.
Ces mesures, insuffisantes pour combler les inégalités actuelles de pension, seront très loin de compenser les conséquences du nouvel allongement du nombre d’annuités qui va encore une fois accroître les inégalités entre les femmes et les hommes !
Les jeunes Les apprenti-es valideront tous leurs trimestres travaillés, quelle que soit leur rémunération, ce que nous réclamions depuis longtemps. Les étudiant-es pourront racheter une année d’études, pendant une période définie à la fin des études (10 ou 20 ans) en bénéficiant d’une aide forfaitaire dont le montant reste à préciser. Cette mesure ne compense pas le fait des études plus longues, le chômage important des jeunes et l’allongement de la durée de cotisation supérieure à l’année éventuellement récupérée en payant, pour ceux qui pourront racheter.
Pénibilités : peut mieux faire !
Le gouvernement crée un compte individuel de prévention de la pénibilité, effectif en 2015, financé seulement pour une petite partie par l’ensemble des entreprises. Ce compte permet, après 25 ans de travail pénible, une formation permettant une reconversion, un temps partiel payé à temps complet à 60 ans, ou un départ en retraite à 60 ans, au lieu de 62 ans. Les facteurs de stress ou le caractère cumulatif des expositions ne sont pas intégrés. Les inégalités face à l’espérance de vie, notamment en bonne santé, exigent la prise en compte réelle de toutes les formes de pénibilités au travail.
Une vraie prise en compte de la pénibilité devrait permettre aux travailleur/euses exposés de bénéficier d’un départ anticipé à 55 ans : le gouvernement ne s’inscrit pas dans cet objectif !
Non à la baisse du pouvoir d’achat des salarié-es et des retraité-es !
Pour une autre répartition des richesses !
Pour financer notre système de retraites par répartition et l’améliorer, il est possible d’augmenter le taux de cotisation patronale qui n’a pas bougé depuis 1979. Il suffirait pour cela qu’un peu moins de dividendes soient versés aux actionnaires ! En 2012, les dividendes versés par les entreprises du CAC 40 ont atteint 40,9 milliards d’euros, en hausse de 5% ! Il y a 30 ans, les entreprises distribuaient 100 milliards de profits… aujourd’hui, c’est 230 milliards : elles versent plus, tout en se plaignant de la crise et du « coût du travail ». Elles attribuaient alors 30 % des bénéfices aux actionnaires… aujourd’hui, c’est 80 % au détriment de l’emploi, de l’investissement et des salaires, et en conséquence au détriment du financement de la protection sociale.
Pour Solidaires, les cotisations doivent être élargies à l’ensemble des revenus distribués par les entreprises : salaires mais aussi intéressement, stock-options, bonus et dividendes. Assurer le financement des retraites passe aussi par une remise en cause des exonérations de cotisations patronales qui n’ont pas prouvé leur efficacité économique et sociale.
Le gouvernement veut justifier sa réforme par un déficit croissant de la « branche retraites », qui serait de 20 milliards d’euros en 2020. Ce même gouvernement a pourtant décidé d’allouer chaque année 20 milliards d’euros aux principales entreprises sous couvert de crédit d’impôt pour la compétitivité d’emploi ( CICE) qui, comme le Crédit impôt recherche (CIR), ne créera aucun emploi et grévera très fortement les budgets publics.
L’enjeu est bien celui d’une autre répartition des richesses, dont un autre usage de l’argent public !